3 ans de Belgique, ça marque un homme !
Des années exceptionnelles qui m'ont ouvert les yeux sur le monde de l'art... et accessoirement sur les mouches.
POUR LES PROFS, LA BD ÉTAIT UNE HONTE !
A l'âge de 15 ans, alors que tous mes copains se demandaient toujours ce qu'ils allaient faire de leur vie, je rentrais à St Luc comme on entre au couvent pour acheter des œufs, une école d'art située près de Tournai en Belgique. Il faut dire que j'avais annoncé à ma mère dès l'âge de 5 ans, que quand je serais grand, je serai pianiste et dessinateur de Bandes Dessinées. Cette décision ne m'avait pas quitté alors que mon tendre visage d'adolescent arborait déjà une rangée mal alignée de boutons, précurseur que j'étais de l'invention prochaine de l'ordinateur.
(Ci-dessus : autoportrait aux crayons de couleur : 1974 - bientôt exposé au Louvre en remplacement de la Joconde)
Lors de l'examen d'admission, je présentais à un prof mon dossier de dessins qui ferait aujourd'hui mourir de rire un aveugle frappé de cécité la nuit avec des lunettes de soleil. Je me suis d'ailleurs toujours demandé pourquoi Ray Charles portait des lunettes de soleil ! J'avais le niveau d'un lombric manchot mais une détermination telle que le prof en question se sentit contraint de m'admettre en section Arts Décoratifs. Il faut dire que ma volonté était si intense que j'aurais défoncé la porte d'entrée au buldozer s'ils leur avait pris l'audace de me la fermer sous le nez.
Je démarrais donc mes études d'art sous un niveau très en dessous de zéro qui aurait fait greloter un esquimau professionnel. Je ne connaissais absolument rien à l'art et le seul peintre dont j'avais vaguement entendu parler était Renoir, car ma mère achetait à chaque Noël une boîte de chocolat avec une reproduction du maître sur le couvercle. Et quand le professeur d'histoire de l'art cita Picasso, Giotto, Matisse, Rembrandt ou Leonardo Di Caprio da Vinci, j'ouvrais des yeux écarquillés comme le loup dans les meilleurs dessins animés de Tex Avery. Je n'avais jamais touché un pinceau de ma vie, je pensais que l'encre de Chine était une boisson asiatique mélangée à du Saké et que les aquarelles étaient des bonbons sagement rangés dans une boîte. J'avais tout à apprendre et cette découverte allait être le plus grand moment de ma vie d'ado.
Ce qui me surprit et m'enchanta le plus, c'est qu'on pouvait aller à l'école pour dessiner toute la journée, alors que je quittais juste des années d'horreur à user mes fonds de culotte sur les bancs d'une école où des professeurs soporifiques essayaient en vain d'intéresser vaguement des gamins avec le nombre de moutons en Nouvelle Zélande (c'est vrai), des dictées à n'en plus finir ou m'obligeaient à résoudre des équations à des inconnues, alors que ma mère m'avait pourtant bien expliqué qu'il ne fallait pas parler aux inconnus. Je gardais de ces années scolaires une amertume et une incompréhension pour ces gens qui volent les plus belles années des enfants à leur marteler des leçons inutiles plutôt qu'à leur apprendre à être heureux. Je me sentais donc parfaitement à ma place dans ce milieu magique qui donnait aux jeunes l'occasion d'exprimer leurs passions et leurs joies.
(Plus haut : stylisation d'un scarabée à la gouache et tire-ligne : 1973 - New York Museum)
J'ai appris des milliers de choses plus intéressantes les unes que les autres dans cette école, entre le croquis (dessin d'observation au crayon. portraits, perspective, ombres et lumières, animaux...), l'illustration, la peinture, le fusain, les formes et les lettres (typographie réalisée aux instruments comme le tire-ligne, le compas et le balustre à pompe, une sorte de compas de précision pour réaliser de petits ronds à l'encre de Chine), l'histoire de l'art, l'analyse des peintures, mais aussi la poésie et d'autres matières non artistiques.
(Ci-dessus : technique mixtes : gouache, crayons de couleur, aquarelle, encres aquarelles, plume et encre de Chine et Rotring - 1975 - Café chez Mimile)
Le gouvernement Belge avait quand même réussi à nous ajouter une heure de comptabilité qui nous intéressait autant que l'arrivée des hussards à Berlémont sur Cassouillette le 24 mai 1452 alors que tante Jeannine venait de faire tomber sa première crêpe à côté de la poële. A cela s'ajoutaient des cours de maths qui se sont vite transformés en atelier sculpture et modelage car le prof, désespéré par notre niveau proche du néant avait adapté son cours pour nous le rendre intéressant.
J'allais oublier le cours de religion dispensé par le directeur de l'école, seul religieux encore en place qui nous expliquait qu'il existait deux dangers importants en dehors des murs fortifiés de l'internat : les filles et les motos. Il faut dire que notre pensionnat n'accueillait que des garçons car les frères des écoles chrétiennes pensaient sans doute que les filles n'avaient pas la fibre artistique, et surtout qu'elles risqueraient de pervertir nos cœurs tendres d'adolescents prêts à vouer leur vie au grand art.
Un jour, le prof de croquis, élève de Marcel Marlier (le dessinateur de la série Martine qui donnait des cours dans l'école) nous annonça que nous allions dessiner un nu. Pensez bien que notre sang d'ado n'a fait qu'un tour et s'est mis en ébullition tel une mixture de sorcière. Notre joie fut de courte durée car il nous sortit un plâtre évidé à l'arrière. C'était le seul de l'école. Point de modèle vivant. Nous étions dans école catholique, ne l'oublions pas. Et encore, je soupçonne qu'il avait caché cet objet du diable dans une armoire pour que la direction ne le trouvât point.
(Ci-dessus : fusain - femme nue sans bras, sans jambes et sans tête... sans rien)
Pour ce qui est des études du visage, c'est nous qui posions à tour de rôle, ou exception-nellement comme le portrait ci-contre, la femme de ménage.
Les études étaient absol-ument passionnantes bien que difficiles et exigeantes. Pour étudier la perspective du cube, nous nous rendions dans la cathédrale de Tournai pour en dessiner l'intérieur, c'est à dire toutes les colonnes, les arcades, les centaines de chaises, l'autel et les vitraux. Pour la perspective du cercle, un moulin avec une roue à aube. Décidément, même les moulins portaient des aubes.
Les cours d'illustration et de peinture étaient les points centraux de la deuxième et de la troisième année. On nous remplissait la tête de rêves afin que nous devenions de « vrais » artistes, nous affirmant de manière non dissimulée que notre avenir était tout tracé. Nous suivrions les traces de Van Gogh et de Piet Mondrian, c'est certain !
Ce ne sera que plus trois ans tard, au sortir de l'école que je retournais dans les murs pour expliquer à mon prof de peinture que j'avais trouvé un travail « dans la peinture. »
- Magnifique, me dit-il, fier de ma réussite. Où ça ?
- Chez Ripolin. Je travaille à la chaîne et je pose des couvercles sur des pots de peinture.
J'avoue que c'est avec amertume et une certaine colère que j'étais venu lui annoncer la nouvelle, lui reprochant ainsi qu'ils nous aient tous caché la réalité de ce qui se passe dehors. Pas une seule fois on nous expliqua qu'il était aussi difficile de vivre de son art que pour un poète d'être rémunéré pour sa plume. Au contraire, nos maîtres critiquaient durement les métiers de dessinateurs de publicité et la Bande Dessinée était dénigrée comme un art mineur.
(Ci-dessus : essai d'illustration réalisée avec des crayons de couleur)
Je sortis de cette belle expérience extrêmement enrichi, en tout cas intérieurement, car au niveau du portefeuille j'avais compris qu'il allait me falloir faire certains compromis si je tenais à survivre dans ce monde réservé aux financiers et aux fonctionnaires.
Bien entendu, nombre de gens bien intentionnés et très intelligents m'expliquaient que la vie d'artiste n'était pas sérieuse et que je fonçais droit dans le mur. Pourtant, aujourd'hui je peux dire que je ne regrette en rien mon choix qui m'a apporté des extases de bonheur et de plaisir, même si mon compte en banque n'a jamais débordé de joie. Quarante quatre ans après avoir pris cette décision de suivre des études artistiques, je suis heureux d'avoir rempli ma vie de ce que j'estime être un véritable épanouissement.
Et quand il m'arrive aujourd'hui de rencontrer l'un ou l'autre de mes détracteurs de l'époque, ceux qui trouvaient mon choix fou, voire totalement idiot, je m'aperçois que la plupart d'entre eux regrettent de n'avoir pas eu le courage de réaliser leurs rêve d'enfant. Ils ont accompli parfois une carrière qu'ils n'ont pas choisie et encore moins appréciée, finissent parfois par faire un burn out, vivent dans le regret ou pire, dans l'amertume si ce n'est l'aigreur. Et quand je rencontre ensuite un adolescent les yeux remplis de rêves artistiques qui m'explique que ses parents l'ont inscrit dans une école de commerce afin qu'il poursuive une carrière toute tracée et surtout sérieuse... j'en ai parfois les larmes aux yeux et ne peux pas m'empêcher d'intervenir afin d'expliquer au jeune boutonneux qu'il faut absolument qu'il vive la vie qu'il a envie de vivre, plutôt que d'obéir aux obligations des autres, juste parce que papa et maman ont peur que leur petit ne puisse pas s'acheter une voiture neuve ou partir en vacances au camping de Palavas les flots.
(Plume et encre de Chine)
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COMMENTAIRES
Quel beau sujet. Que de regrets de n’avoir pas suivi le parcours de cet homme... Bien qu’à mon époque on était loin de penser à l’art. Nous pensions seulement à survivre parce qu’il n’y avait pas de chômage. Qui ne travaillait pas ne mangeait pas... Continue Christophe à nous raconter de belles histoires.
Danielle
Heureusement que comme deuxième métier, tu as choisi un truc sûr et qui rapporte : musicien :-)
Polak
Je bavardais un jour, la leçon terminée, avec la maman de l'une des jeunes élèves de mon cours de piano, à qui je dispensais mes précieux enseignements depuis plus de trois années. A un détour de la conversation, la dame me demande, tout à trac : "Mais au fait, Jean-Pierre, je ne vous ai jamais demandé : que faites-vous comme métier ?" J'ai un regard effaré et je fais un geste "désignateur" vers l'un des pianos proches. Persuadée que je n'avais pas compris sa question, la dame précise : "Oui, oui ... Non, mais : comme métier ? " Je découvre, en outre (si t'as soif, vas-y !) que nous avons eu les mêmes parents. Normalement, je devrais être comptable à c't'heure !
Jipie
Ah enfin une ritournelle autobiographique digne d’être éditée dans tous les bons hebdomadaires pour enfants et adolescents. Pour les pauvres parents dont les enfants sont déjà en burn-out dans leur travail passionnant, voilà la piste rédemptrice.
Chantal
J'ai connu un parcours presque similaire. Après avoir brillamment raté mon BAC il m'a fallu faire un choix entre mes 2 passions... le dessin ou la photo ! Ce qui m'a amené à faire 30 mois d'études dans la meilleure école Belge de Photographie à Bruxelles. J'ai adoré ce métier pendant plus de 40 ans en me jurant que je me remettrai au dessin sitôt à la retraite. Ce qui fut fait à peine arrivé au beau Pays Basque où j'ai fréquenté les cours d'un certain Christophe Delvallé qui fut mon Maître et qui m'a tout appris... ( le dessin et les jeux de mots ...)
Jacky
Entre 2 éclats de rire... tes propos me font aussi réfléchir et savourer encore plus a posteriori ma rébellion très précoce qui m'a finalement permis de trouver MA trajectoire, même si j'ai dû en déplacer un peu l'objectif. Ne crois-tu pas qu'il serait bon de bannir le mot "doué" de tout projet, surtout artistique ? Je l'ai vu, à lui seul, retenir tant d'élans spontanés ... cela dit, dans les voies artistiques aussi : 'faut bosser !
Anne
Merci Christophe . J'ai souri avec plaisir en lisant tes lignes... Cela donne envie d'aller s'inscrire à l'école d'art de Tournai ! Notre fille ainée a fait un parcours digne de ces (ses) parents qui poussent leur enfant en HEC ! Heureusement un trimestre a fini de la dégoûter et elle a pu intégrer les Beaux Arts de Bordeaux et faire d'autres formation dans sa branche... Qui l'ont conduite à être restauratrice de tableaux et œuvres anciennes où elle excelle !
Brigitte
J'ai lu avec un très grand plaisir ton parcours et suis heureuse pour toi et avec toi. J'ai suivi ton année de cours et plus et ce fut un très grand moment. Ce que j'ai reçu est important et me sert tout le temps, merci beaucoup et je continue à recevoir tes messages avec joie et grand plaisir. Bien sincèrement Christophe et continue à donner du bonheur et à en recevoir.
Mijo
Ta bienveillance, ta gentillesse ton enthousiasme, m'ont aidée à prendre du plaisir avec des crayons et des pinceaux. Chaque stage a été un bonheur. J'ai beaucoup aimé ta biographie pleine d'humour et de volonté. À un prochain stage.
Danielle
Vos commentaires sont les bienvenus. Cependant, je n'ai pas trop envie de passer du temps à modérer les écrits de certains petits malins qui se croient malins. Facebook et les autres réseaux sociaux regorgent de LOL, MDR, PTDR, « Je sui dacort avec vou », ou des insultes. Par contre, je publierai avec plaisir tous les autres commentaires. Ma tribune vous est donc ouverte. Ecrivez-moi vos impressions via le formulaire ci-contre et je les publierai en bas de page.