On tutoie les étoiles, on tape dans le dos des nébuleuses, on surfe sur l'anneau de Saturne...
et puis on joue de la musique aussi !
Les plus grandes émotions sont pour moi dans la musique, prêtes à émerger, à danser et à vivre à travers les notes.
UN MOMENT DE GRÂCE
Concert chez Mollat - Bordeaux - France
S'il est un moment de grâce dans la vie d'un musicien, c'est bien lorsqu'il donne un concert. Je ne parle pas d'une animation musicale dans un cocktail pour un quelconque assureur où certains invités ne se rendent même pas compte qu'il y a des musiciens qui jouent (j'ai vécu), ni d'un mariage, de la communion du p'tit ou d'un bœuf improvisé pour l'anniversaire de Maurice, mais bien d'un concert, d'un vrai concert dans une salle, sur une scène digne de ce nom avec des éclairages de scène, une sonorisation de qualité, un piano à queue et des auditeurs assis dans des fauteuils rouges recouvert d'un velours qui gratte.
A vrai dire, mes débuts dans la musique ne bénéficièrent pas de ces conditions idéales. Je commençais comme pianiste d'ambiance dans un café-théâtre à Lille où je jouais 4 heures chaque soir. Mon répertoire complet ne devait pas durer plus de 15 minutes, et je passais le reste du temps à tester l'improvisation en direct. Vu que personne n'écoutait, personne ne s'en apercevait. Quand je jouais une fausse note, cela réveillait soudainement un client qui dormait en faisant semblant d'écouter sa fiancée lui parler de sa belle-mère alors que lui attendait impatiemment le début du spectacle pour avoir la paix. J'appris cependant qu'il me suffisait de répéter 3 ou 4 fois la fausse note pour qu'on crie au génie, à la modernité inouïe du pianiste et à la musique contemporaine de Schönberg.
La suite est en dessous. Pourquoi regardez-vous à droite ?
Concert chez Mollat - Bordeaux - France
Je continuais ma carrière de « concertiste pour sourds et malentendants » en jouant du Ragtime successivement dans une pizzéria, un Club privé dans lequel une jeune demoiselle laissait croire aux pigeons qu'elle dévoilerait ses charmes en échange d'une bouteille de Champagne au prix d'un château en Espagne, et dans un restaurant à Tahiti où j'accompagnais un travesti dans son tour de chant. A noter que je mis trois mois pour me rendre compte qu'il était travesti. C'est seulement quand j'entrais un soir dans sa loge pendant qu'il se changeait et que j'aperçus deux balles de ping-pong acompagnées d'un manche de raquette qui n'auraient pas dû se trouver là et que je m'écriais : « Ben Jacky, qu'est-ce qui t'arrive ? »
Mais trêve de digressions, je m'éloigne du sujet tel un homme politique à qui on demande des comptes !
Un concert, un vrai, avec un son qui tue de sa mère en slip, des éclairages qui vous mettent une telle ambiance que vous avez l'impression qu'il se passe quelque chose de magique, un concert, un vrai, c'est certainement ce que j'ai vécu de plus fort au monde avec la naissance de mes enfants et le jour où j'ai croqué à pleine dents dans un piment de Cayenne.
Donner un concert provoque une avalanche d'émotions toutes plus magnifiques les unes que les autres. Il y a d'abord la préparation, que les musiciens appellent les répétitions, qui donnent l'illusion, du moins quand on débute, qu'on arrivera à jouer la même chose devant 300 personnes sans sourcillier d'un demi-centimètre.
L'excitation scénique aidant, il peut nous arriver de tout oublier et de nous retrouver seul, sur un îlot isolé, tel Vendredi un lundi de Pâques aux côtés de Robinson, amnésiant jusqu'à la partition que l'on connaissait pourtant par cœur. Les émotions sont décuplées, voire sextuplées. Le moindre petit tracas peut prendre des dimensions dramatiques, et il en est de même pour les émotions brillantes qui vous portent aux nues comme quelqu'un de déshabillé.
Concert chez Mollat - Bordeaux - France
Puis vient l'heure de l'attente comme disent les campeurs. On est seul dans sa loge, et chaque minute dure un siècle. Ou deux. Un mélange de trac et d'excitation vous prend la tête et frissonne dans tout le corps comme une mayonnaise qui ne prend pas. Pourquoi est-ce si long ? Ne pourrait-on pas commencer tout de suite plutôt que d'attendre les retardataires qui entrent encore dans la salle en gênant tous ceux qui ont eu le respect de venir à l'heure ?
Quand je vis ce moment, je suis dans un tel état à fleur de peau que j'en perdrait mon humour. Il y a toujours un petit rigolo qui entre dans la loge et détruit votre concentration en vous racontant la dernière histoire Belge que tout le monde connaît ou en vous expliquant que le prix du sans plomb a augmenté, ou une gentille bénévole qui vous propose une bière ou un Coca (beurk). Certes, l'intention est tout à fait louable et gentille, mais si ces personnes savaient à quel point dans ce moment d'attente on a uniquement besoin de fermer les yeux, de s'intérioriser et d'être coupé du monde ! Dans quelques minutes je transcenderai les émotions d'une salle comme on dirige un orchestre de fées et de farfadets, je ferai voler les étoiles dans les oreilles et les yeux d'un public qui est venu pour rêver... et cela me demande la plus haute concentration pour y parvenir.
L'entrée en scène arrivera bientôt, et je me retrouverai seul face un instrument magnifique pourvu d'un clavier de 88 notes, toutes différentes, qui racontent chacune une histoire, une émotion, et sont prêtes à collaborer avec mes doigts qui les effleureront tantôt délicatement, tantôt énergiquement dans un rythme martelant pour en tirer la substance de chaque son. Chaque note est pour moi une perle d'émotion prête à éclore et je la touche avec douceur et respect comme on caresse un songe une nuit d'été. Baudelaire, tu peux aller te rhabiller !
Concert à la Pinacothèque de Chania - Crète - Grèce
Puis vient l'heure d'entrer dans la salle. Les sièges sont pleins et des centaines d'yeux m'observent, mais je ne les vois pas. Peut être se posent-ils des questions sur mon habillement ou ma coiffure ? Qu'importe, je suis dans un état second et je ne vois qu'une seule masse, distinguant à peine qui est qui. La musique m'attend. Ma musique, celle qui sort de mon âme et de mes doigts. La première note que je jouerai est de toute première importance. Elle se doit d'être pure, entière et de sortir du cœur des anges. C'est elle qui va ouvrir le spectacle et donner le ton à toutes les émotions qui suivront. Elle sera différente à chaque concert, car mon premier morceau commencera par une improvisation. Au début, mes mains tremblent quelque peu, j'ai devant moi cette immensité de touches noires et blanches qui ressemble à un océan que je dois dompter. Tout peut arriver. C'est la magie de l'improvisation.
Concert avec Patrick Manet au Satin Doll - Bordeaux - France
Une fois passée l'appréhension du premier morceau, la suite du concert se déroule avec une certaine magie allant crescendo. Comme j'improvise les 80 % de ma musique, de belles surprises m'attendent. Une note peut en provoquer une autre et je deviens autant auditeur qu'interprète. J'ai joué 30 ans avec mon ami contrebassiste Patrick Manet. Nos émotions scéniques furent les plus intenses de notre existence. L'un écoute l'autre qui réécoute le premier. Des jeux de questions-réponses musicales ponctuent nos improvisations et ce que nous exprimons à travers nos notes est bien plus expressif que n'importe quel langage humain.
Grâce à la musique, nous parlons une langue que seuls les dieux et les rois connaissent... sauf l'ouie 14 qui était sourd comme impôt !
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COMMENTAIRES
Pour que ce beau portrait du Musicos soit complet, il faudrait peut-être aussi dire un mot (mais un beau !) de cet autre acte d'Amour pur - mais solitaire - qu'est la création musicale, la composition : la rencontre avec des notes inconnues qui naissent par surprise de quelques doigts jetés sur un clavier, sur un manche, de la lueur d'une pensée, d'un souffle, d'un hasard décidé ailleurs, loin ... et qui vont donner une forme au silence !
L'Acte de Création porte en lui-même sa récompense.
Jipé
Je tiens a préciser et je m'élève ( à 1m72 ) de toute ma hauteur pour que la précision soit apportée et rendue publique de façon véhémente et que la lumière soit faite ( avec des lampes Led pour sauver la planète ...) sur une anecdote, fort amusante au passage, mais pouvant prêter à confusions aux yeux des lecteurs dont je ne mets aucunement en doute la capacité de discernement... anecdote donc, que pour rendre plus crédible, l'auteur (sur la tête duquel je viens de lancer une "fatwa"...) attribue à un personnage, sans équivoques, qu'il a accompagné à Tahiti le prénom si respectable et bien porté de... Jacky !!!!!!!!! Je tiens à préciser que j'ai un sens de l'humour très développé, ce que tout le monde me reconnait d'ailleurs... mais cela s'arrête brutalement sitôt qu'un pianiste, fut il de grand talent, met en cause mon intégrité patrimoniale ! Je me permet toutefois de me gausser devant l'aveuglement phénoménal de ce concertiste de bar et nightclub qui découvre après 3 MOIS que sa "connaissance" jouait au ping pong avec une raquette de tennis ! Bref, assez de vaines moqueries, je préfère conclure là mais sachez que jamais, vous m'entendez, je ne laisserai la dent acide de certains fouler au pied mon doux et prestigieux prénom dont le front chargé d'Histoire a bercé le cadre doré où nos pères ont fait leurs premiers pas et dans les seins desquelles dort un passé glorieux qui tient à l’œil tous les dessinateurs de petits Mickeys aux gros nez... et pianistes de surcroit .Sachez que désormais je compte vous avertir que d'une main sans faiblesse je foulerai aux pieds tout autre allusion à mon prénom du temps où j'étais beau et con à la fois.
A bon entendeur... ce qui ne doit pas vous poser de problèmes tout musicien que vous êtes !
Jacky
Beau texte sur la transe vécue de l'intérieur ! Il me souvient que, sous des étoiles crétoises chauffées à blanc, nous eûmes, nombreux, un bien beau moment de transe partagée, autrefois. La transe, dit Catherine Clément dans son très beau livre "L'appel de la transe", est "une autorisation pour s'éclipser de la vie... Et quand nous revenons, quelque chose a changé et c'est imperceptible; l'empreinte de l'éclipse est une sécurité", pour continuer à vivre quoiqu'il arrive et quelque soit la vie que l'on mène. Est-ce ainsi que les artistes vivent ? Pour ma part, c'est certain. Amitiés à partager avec Catherine.
Fabienne
Merci. Un double merci. Pour cet article et ce partage sur la magie de la scène. La quintessence de la vie d’un musicien. Merci pour ce merveilleux cadeau offert voilà 33 ans, la découverte de l’improvisation. Ce lien entre l’instant et l’émotion. Cette verve en lévitation sur l’immédiat. Au plaisir d’entendre cela en live.
Emmanuel
Cher Chistophe, ton texte me plaît beaucoup. Et je me souviens de t’avoir écouté avec ferveur à Chania il y a… bien des années maintenant. Je ne suis pas musicienne moi-même, mais je vis (intensément) d’amour et d’eau fraîche avec un musicien. Quant au langage des dieux… Cela me fait penser à ton précédent article sur la composition que j’ai aussi aimé. J’y ai retrouvé ce curieux mélange d’énergie et de légèreté qui, me semble-t-il, caractérise ton travail. Tu fais partie des gens que je suis fière et heureuse d’avoir rencontré. Il fallait bien que je te le dise un jour ! C’est fait.
PS. Les morceaux de musique que tu partagess sur Facebook sont toujours magnifiques. Encore de belles découvertes.
Catherine
Cher Christophe, BRAVO pour ton talent ! Tu as vraiment une foule de cordes à ton arc : don pour la musique, l'humour, l'écriture : ton texte m'a fait tant rire ! Mais on y ressent bien aussi le bonheur que tu as à jouer, à charmer ton auditoire... qui sait écouter. Continue !
Solange
Vos commentaires sont les bienvenus. Cependant, je n'ai pas trop envie de passer du temps à modérer les écrits de certains petits malins qui se croient malins. Facebook et les autres réseaux sociaux regorgent de LOL, MDR, PTDR, « Je sui dacort avec vou », ou des insultes. Par contre, je publierai avec plaisir tous les autres commentaires. Ma tribune vous est donc ouverte. Ecrivez-moi vos impressions via le formulaire ci-contre et je les publierai en bas de page.