Les moustachus ont des poils sous le nez
Dans l’art éditorial, on commet parfois des erreurs mémorables dues à des choix stupides et graciles (1). C’est ce que j’ai expérimenté avec mon album : les moustachus ont des poils sous le nez, une œuvre interplanétaire éditée en 1996.
(1) Ce mot n’a rien à faire ici, mais je le trouve joli.
LA NAISSANCE D'UN INVENDU MONDIALEMENT INCONNU
Mais commençons déjà par planter le décor. Dans les années 90, je participais à de nombreux salons de BD pour dédicacer ma série d’albums de dessins d'humour sur le vin In Vino Veritas. Des palanquées de fans se précipitaient sur moi, des myriades de jeunes femmes à demi-nues s’arrachaient les cheveux entre-elles pour acquérir un de mes albums avant les autres. Les plus grandes stars de l’époque voulaient se procurer ce chef d’œuvre de la littérature illustrée. Bref, ça se vendait comme des cercueils à trois poignées ! Très mal.
Je cherchai alors une nouvelle idée pour vivre de mon art en auto-éditant un album qui, je l’espérais, ridiculiserait les plus grand éditeurs et placerait Dargaud, Casterman et Glénat au rang de sinistres oubliés. Dans les salons, j’alpaguais (2) souvent les passants des allées tant je m'ennuyais, et spécialement, allez savoir pourquoi, les moustachus. Il faut dire qu’ils me faisaient rire tous ces comiques avec leurs poils sous le nez. Je prétendais que mes albums se mariaient très bien avec le teint de ceux qui arboraient la moustache, ce qui était totalement idiot, je l’avoue. Comme je vous disais donc, en exagérant très légèrement, peu de quidams se précipitaient sur mes petits miquets et il me fallait constamment héler le chaland pour tenter de fourguer un de mes invendus. C’est alors que m’est venue une des plus grandes idées qui fut trouvée dans le monde des échecs de l’édition : j’allais créer un album dédié aux moustachus. Ma fortune était faite. La gloire du Seigneur me couvrirait de son blanc manteau ! Je n’aurai bientôt plus besoin de travailler.
(2) Cousin de l’alpaga
La suite est en dessous. Pourquoi regardez-vous à côté ?
Rentré à la maison, le sourire béat aux lèvres, tel un futur gagnant du Loto, je me mettais à l’ouvrage pour trouver du contenu à ce trésor prochain et néanmoins génial. Mais plutôt que de créer des dessins spécialement dédiés aux moustachus, ce qui aurait de toute façon été encore plus invendable, je décidai de publier un recueil de mes dessins d’humour, qu’ils soient parus dans la presse ou non.
J’obtins une préface d’Alain Grandrémi, journaliste au Canard Enchaîné, ce qui me conforta dans le fait que je vendrais cet opuscule par camions entiers vu tout le bien qu’il avait écrit de mon travail (si, si !). Je rassemblais donc mes dessins qui s’étaient dispersés dans la prairie voisine pendant que mon chien de berger faisait la sieste. Je les numérisais puis les mettais en page pour qu’il ne s’éloignent plus. De toute façon, mon chien était reparti dormir à l’ombre d’un cerisier en fleurs, juste à côté de chez Swan. L’œuvre indispensable au bonheur des terriens allait voir le jour. J’envoyai donc les films à l’imprimeur (à l’époque, on ne parlait pas d’internet), puis attendais impatiemment les 2000 albums commandés en rêvant déjà aux cocotiers, au jus d'ananas pressé et aux vahinés qui danseraient autour de moi en tenant des sachets de levure.
Un mois plus tard, l’œuvre se présenta à ma porte, rutilante et belle dans sa robe cartonnée, un sourire narquois sur les lèvres de chaque moustachu que j’avais dessiné sur la couverture. Enfin, elle avait quand même un peu plus l'allure du livreur moustachu qui transpirait abondamment dans son Marcel. J’allais enfin tester ma gloire au salon de Blois, un des plus importants de France après Angoulême et Plougniac sur Berlémont, à côté de Pougnagna les Gonesses.
C’est là, dans ce lieu méprisé des déesses et des dieux, que je compris que toutes les inspirations ne viennent pas forcément des muses. Le public de Blois (certainement aveuglé par son ignorance) n’avait pas l’air de s’intéresser du tout à ce monument artistique contemporain. Serais-je un artiste maudit tel Van Gogh ou Ginette Pinchon ? Vous ne connaissez pas Ginette Pinchon ? Vous voyez bien ! Les habitants de Blois s’étaient-ils tous ligués pour me faire une bonne farce.
C’est alors que soudain, le ciel s’ouvrit et les anges chantèrent en polyphonie un des derniers tubes de Frédéric François. Un croquant même pas moustachu empoignait le bouquin et commençait à le feuilleter. Il souriait – tel un homme de bon goût qu'il ne pouvait pas manquer d'être – à mes gags extrêmement hilarants puis finit par investir une somme peu coquette dans l’achat de mes pages. J’étais ravi ! Heureux ! Comblé ! Le ciel m’avait entendu et avait répondu à mes 18 neuvaines à sainte Rita, la patronne des causes désespérées !
La fin du salon arriva et c'était l'heure des comptes. J’avais vendu 70 In Vino Veritas et un seul moustachu. Que se passait-il ? Pourquoi l’humanus communus reniait-il cette œuvre majeure et dédaignait jusqu’à même la feuilleter ?
Je compris alors que mon choix n'était pas le bon.
Il fallait que j'édite un album sur les barbus.
EPILOGUE
(ou comment faire Hin Hin Hin en voyant les échecs des autres ?)
Un jour, j’eus la chance de jouxter un loser mille fois pire que je ne le fus. Je me trouvais alors dans un salon du livre à Blaye en Gironde, à côté d’un écrivain auto-édité qui venait de sortir LE chef d’œuvre incontournable du siècle intitulé : les écluses dans le Blayais de 1923 à 1925, un ouvrage de 600 pages écrit en pattes de mouches sans aucune illustration à part quelques photos floues et mal imprimées. Le Victor Hugo qui me servait de voisin me regardait avec un air envieux et colérique à chaque fois que je dédicaçais un de mes albums par un dessin personnalisé alors que lui n’en avait toujours pas vendu, et pour cause. A part sa mère, par solidarité ou pitié, qui pouvait acheter un tel livre vendu à prix d’or à cause de son faible tirage ? L'univers m'avait rassuré. J'étais vengé !
Tous les dessins qui illustrent cet page sont extrait de ce chef d'œuvre éditorial.
Comment est fabriqué un dessin d'humour ? • Comment est composé un thème musical ? • Un lexique humoristique • Les moustachus ont des poils sous le nez • Mes photos pour la presse écrite •
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COMMENTAIRES
Ah ! Vivre de son art... Déjà vivre "tout court" c'est pas simple, mais là...
Moi j'ai renoncé à vivre de mon art. Et pourtant, je suis le plus grand compositeur de tout mon chemin (qui comporte six numéros). Même si je suis le seul musicien du quartier, c'est déjà beau, je trouve. Alors persiste, toi qui es jeune, O Delvallé-le-Grand !
PS : Ah ! Ginette Pinchon (Née Legay), j'ai bien connu sa mère.
Jipé
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