Le petit monde de Delvallé

J'ai toujours adoré trouver des idées avec les seuls moyens dont je disposais. Sans doute est-ce dû à mes origines dans un milieu modeste où on pensait qu'il fallait surtout de l'imagination et de l'huile de coude pour réussir ce qu'on entreprenait. Je ne rechigne évidemment pas à disposer de conditions idéales, mais il y a une certaine excitation à chercher des solutions système D pour réaliser quelque chose.

Avoir peu de moyens oblige l’esprit à trouver des solutions ingénieuses aux problèmes qui se présentent. J’ai vu parfois des artistes attendre de trouver les conditions parfaites pour commencer à travailler. A mon avis, avec une telle exigence, on ne réalise pas grand chose.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai écrit, tourné et monté ce court métrage qui a rendu vert de jalousie le grand Hulk lui-même. Le scénario d’abord, que j’ai écrit comme je l’aurais fait pour une BD, avec un story board qui décrit l’action et quelques croquis pour organiser mes idées.

Pour le tournage, j’ai fait avec les moyens du bord : une petite caméra 4K avec un seul objectif (pas de grand angle), un éclairage naturel et un scénario muet car je ne disposais pas du matériel nécessaire pour effectuer une prise de son professionnelle. L’idée était aussi d’insérer ma musique en guise de bande son pour ajouter encore ma patte à la création.

Pour le rôle principal, c’est Catherine, mon épouse qui incarna la femme en rouge. Le personnage masculin était joué par Bernard Micas dit Mika, mon ami caricaturiste, qui est aussi comédien que je suis danseuse de French Cancan. En même temps, vous ne m’avez jamais vu danser le French Cancan… je vole avec une telle légèreté que mes jupons en frissonnent de joie ! L’avantage énorme de Bernard sur Gérard Depardieu et Johny Depp, c’est qu’il était disponible et gratuit. Il n’en était cependant pas à son premier court métrage, ayant tourné auparavant dans un chef d’œuvre cinématographique aussi confidentiel qu’incompréhensible dont le scénario a dû être écrit par un Serbe qui maîtrise mal le Polonais.

Les scènes peu éclairées ont été celles qui ont posé le plus de soucis techniques. Quand l'objectif de la caméra manque de lumière, du grain apparaît à l'image. C'est très laid, sauf si on filme du café moulu. Le plan nocturne ci-dessus a donc été filmé en plein jour et j'ai ajouté une couleur bleue pour simuler la nuit. Il paraît que cela s’appelle la nuit américaine, une technique cinématographique qui permet de filmer en plein jour des scènes de nuits. Ils sont forts ces Américains ! Sous les draps, Bernard était vêtu d'un slip kangourou de chez Tati (pas Jacques, l'autre).

Dans un studio photo, j'ai filmé Catherine sur un fond vert (Chromakey). La couleur verte n'étant pas présente sur la peau humaine (beaucoup plus chez les Martiens), il est relativement facile de supprimer cette couleur sur un logiciel de montage pour obtenir un fond transparent et incruster le personnage dans n'importe quel décor. C'est de cette manière qu'on filme les présentateurs de la météo ou Superman qui vole dans le ciel de Manhattan. Si vous pensiez que Superman volait vraiment, je comprends votre déception !

En réalité et au contraire de l'inverse, il est assez difficile de s'approcher des couleurs réalistes dudit décor pour qu'on ne voit pas qu'il s'agit d'un montage. C'est grâce à cette technique que la femme en rouge apparaît à la fenêtre (vignette en haut de la page), sur l'écran de TV (la main qui dépasse de l'écran est juste une fantaisie) ou disparaît en haut de l'escalier à l’extérieur de l’église après la scène de la voiture alors que le grand couillon essaie de la rattraper.

Cependant, pour ce qui est des séquences d'auto-stop, j'ai opté pour un décor naturel qui collait plus au réalisme désiré. La lumière ne fonctionnait pas car je n’avais pas non plus les moyens des spécialistes en effets spéciaux de Spielberg, bien que Steven me doive le décollage de sa carrière.

Filmer l'intérieur d'une voiture est sans aucun doute ce qui m'a posé le plus de problèmes au niveau du cadrage et de la lumière. Tout d'abord, il y a très peu de recul pour filmer et les sièges gênent souvent le placement de la caméra, mais le pire est la gestion de la lumière. L'intérieur est sombre, donc sous-exposé et l'extérieur est très lumineux, donc surexposé. J'ai essayé diverses solutions et la meilleure d'entre-elles fut de filmer par temps gris pour diminuer l'écart entre les deux expositions.

C'est là que le manque de moyens fut le plus difficile à gérer, car les réalisateurs qui disposent d'un éclairagiste équipé avec du matériel qui vaut plusieurs milliers d'euros n'est pas gêné par ce problème. J'avais disposé une GoPro en hauteur pour obtenir une vue plongeante, mais cette caméra annexe, bien que toute petite, entrait régulièrement dans le champ de la caméra principale qui bougeait avec les vibration de la voiture et il fallait parfois recommencer la scène. A noter, et on ne le dira jamais assez, qu’une voiture ça bouge beaucoup, et quand ça bouge, la caméra tremble. Il me fallut cesser de respirer en filmant ce qui me faisait ressembler à Jacques Mayol par 100 m de fond, et assouplir mes bras telle la Venus de Milo dans son dernier rôle.