Je suis devenu photographe
sur un coup de bluff
Dans les années 80, il était encore possible d'exercer un métier sans diplômes. C'est comme cela que j'ai découvert une profession que je ne connaissais pas du tout.
DOISNEAU EN CULOTTES COURTES
J'ai toujours eu un certain culot, comme disent les vieilles ampoules. Le jour où le rédacteur en chef du magazine où j'étais dessinateur de presse annonça en comité de rédaction que le seul et unique photographe du journal partait faire son service militaire et qu'il lui cherchait un remplaçant, nous étions une dizaine de journalistes autour de la table. A cette époque, j'étais payé à la pige, c'est à dire à l'article ou au dessin paru. Je courrais donc après toute opportunité qui me permettrait de toucher trois sous de plus. Je regardai autour de moi et personne ne se proposa. Je levai alors timidement la main et tout le monde eut un soupir de soulagement, sauf moi.
- « Christophe, bien sûr ! »
C'était une évidence pour tout le monde qu'un dessinateur devait être un expert en photos. Qui l'eut cru ?
Mon père dans son atelier
Le Rédacteur en chef me nomma donc photographe du journal, un magazine qui paraissait à quarante mille exemplaires chaque semaine et dont la partie photographique représentait une grande part. Tout le monde était soulagé, sauf moi qui me demandais si je n'avais pas levé la main un tout petit peu trop vite, d'autant que j'avais affirmé que je connaissais très bien la photo. A vrai dire, je n'avais jamais touché un appareil du même nom et je n'avais pas une fichue idée de comment pouvait bien fonctionner un tel engin. A cette époque, le numérique n'existait pas et les appareils automatiques étaient chers.
Aussitôt sorti de la réunion, alors que la sueur perlait dans mon dos tel un sportif de haut niveau qui venait de courir trois marathons à la suite, je fonçais dans une cabine téléphonique pour appeler mon père :
- Dis donc, tu as toujours ton appareil photo ?
- Oui bien sûr !
- Tu pourrais me le prêter car j'ai trouvé un boulot de photographe.
- Oui. Tu sais comment ça marche ?
- Pas du tout, mais tu vas m'expliquer non ?
- Bah, tu verras, c'est tout simple. Le principal, tu l'as déjà. Tu as l'œil et tu sauras cadrer.
Un musicien de rue à Paris
Il me montra donc comment régler la vitesse et le diaphragme (bien qu'à l'époque c'était plutôt la pilule qui était à la mode) et m'expliqua les bases de la profondeur de champ :
- quand tu clignes les yeux, tu vois plus loin, donc plus ton diaphragme est fermé, plus le fond est net.
C'est tout ! Mon cours de photo était terminé car, de toute façon, il n'en savait pas plus.
Je me présentais donc fièrement au journal l'après-midi avec mon appareil photo, prêt à devenir le nouveau Cartier Bresson du XXe siècle.
Tournage FR3 avec Françoise Christophe
A vrai dire, j'ai très vite été passionné par ce nouvel art. On m'envoyait sur des tournages (photo ci-dessus), faire des reportages sur des expositions, des spectacles et pour rencontrer des gens très intéressants que le journaliste-rédacteur qui venait de finir son interview était incapable de photographier. A l'époque, la pellicule était chère (sauf pour les chauves qui n'en avaient pas) et je ne prenais guère plus d'un ou deux clichés par sujet.
Aéroport d'Athènes
Carnaval de Mahon, Baléares
Comme vous pouvez le constater, les photos des années 80 étaient souvent en noir et blanc et développées manuellement. C'est là que j'eus la grande surprise de mon coup de bluff.
Revenu au journal le vendredi avec mes bobines, je m'aprêtais à les confier à un quidam quelconque qui me les développerait, quand le directeur de publication vint à moi tel un homme qui venait de rencontrer son sauveur !
- Christophe, tu nous sors une sacrée épine du pied, dit-il comme s'il me prenait pour un podologue.
- Je vous en prie, c'est tout naturel, et puis je...
- Maintenant, il faut développer toutes tes photos et celles des correspondants. Il y a du 6 x 6, du 6 x 7 et du 24 x 36. Le labo est au fond du couloir.
J'avais plusieurs choix possibles à l'annonce de cette catastrophe :
- Soit m'évanouir comme une jeune fille qui chute de sa balancelle dans un jardin bourgeois au XVIIIe siècle.
- Soit partir en courant et en poussant un cri de Sioux genre ayayayah.
- Soit faire « euh, c'est à dire que... »
Je fis « euh, c'est à dire que... en développement je ne suis pas super fort. Est-il possible qu'on me remontre deux ou trois trucs ? »
Courbes turgescentes et surannées (j'apprendrai plus tard qu'il est important de donner un titre conceptuel à une photo dite artistique. Ça fait artiste !)
J'étais sidéré car il accepta sans rechigner, me faisant, semble t-il, une confiance absolue. Nous allâmes dans le labo tous les deux. Il éteignit la lumière et alluma une ampoule rouge.
Qu'est-ce qu'il me fait ? Me ferait-il le coup de la boîte de nuit pour me sauter dessus tel un loup garou affamé de sang et de sexe ?
Je ne prononçais pas un mot mais concentrais toute mon énergie et mon attention sur ce qu'il me montrait et m'expliquait. Je dévorais chacun de ses mots et mémorisais ses gestes avec une concentration telle que mon cerveau devait fumer un peu. Heureusement, nous étions dans le noir... enfin, dans le rouge !
Je n'avais pas le droit à l'erreur. J'avais affirmé que j'étais photographe et je n'avais que quelques minutes pour apprendre le métier. Il me livra tous les secrets du révélateur, du bain d'arrêt et du fixateur et m'expliqua le fonctionnement de l'agrandisseur Durst à la vitesse d'un cheval au galop poursuivit par un boucher chevalin car, m'affirmait-il : « ça tu connais bien sûr ».
Je me retrouvai seul dans le labo avec une cinquantaine de photos à développer. Je priai le saint patron des objectifs et des pinces de séchage afin qu'il m'assiste. Je lui promis de me rendre à Jérusalem sur les genoux en portant un menhir sur le dos et en récitant dix huit mille cinq cents chapelets s'il exauçait ma prière. Il le fit, et je lui allumais un cierge pour le remercier... enfin, une bougie... d'anniversaire !
J'ai dû user beaucoup de papier à rater mes premiers essais car la secrétaire était surprise qu'il fallut déjà en racheter. Mes premiers tirages étaient pâlichons, un peu flous... en bref, tout à fait lamentables.
Le magazine qui sortit avec le résultat de mon apprentissage doit encore être exposé dans les annales de la rédaction comme une sorte de trou noir dans l'histoire du journal.
J'avais bien conscience de l'absolue nullité de mon premier essai, mais il me fallait me rattraper au plus vite car le journal suivant approchait à la même vitesse que le cheval de tout à l'heure et le Rédac-chef m'avait prit à part en me demandant d'améliorer mon travail. Se doutait-il de quelque chose ? Quand même ! Cela aurait été étonnant !
Heureusement, quand on est journaliste, ce n'est pas les collègues qui manquent. Je me rendis à la Voix du Nord (toute cette aventure se passait à Lille) et entrait à l'improviste dans le bureau d'un copain qui était directeur photo du journal. Notre conversation fut à peu près ce qui suit :
- Sam, il faut que tu me sauves la vie. J'ai accepté un poste de photographe et je n'y connais rien. Pourrais-tu me montrer deux ou trois trucs au niveau du développement ?
- Tu es gonflé quand même !
- Ah bon ? Tu trouves ?
Sam me fit entrer dans le labo et m'enseigna en quelques minutes tout ce qu'il me manquait. Il m'apprit notamment qu'il fallait refaire la mise au point de l'agrandisseur à chaque nouvelle photo, ce qu'évidemment je ne savais pas.
Je ne devins pas un cador du développement, mais ce que je savais suffisait amplement à remplir la tâche qui m'était confiée.
Le métier me passionna et j'investis un jour dans un boîtier Nikon et trois objectifs avant de partir à Tahiti pour devenir dessinateur de presse, pianiste, et... journaliste. Gonflé quand même !
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COMMENTAIRES
Un diplôme, c'est un mot : comme le bonheur. Je n'ai lu nulle part que le gus qui a peint une grotte il y a belle lurette avait fait les beaux arts (rupestres), qu'il était enregistré à la Chambre des Métiers de sa caverne, et donc qu'il payait des impôts au grand sorcier local. Pour moi, le photographe est un 3e oeil, peu importe le matériel. J'ai réalisé des photos extraordinaires uniquement redevables à... ma patience (par exemple) et avec un numérique à 3 sous ! Quand j'étais jeune, j'avais cru qu'en achetant un zoom 75X235, un 400mm et même un cul de bouteille doubleur de focale, j'allais faire trembler Christian Zuber, Allain Bougrain-Dubourg et tutti quanti. Ce fut une catastrophe Christophe (pour la rime). Ps. Est-ce qu'il y a des diplômes de poète ?
Jacques
J'adore ! Beau contenu et belle écriture :-) Ce qui prouve qu'avec du culot et de l'humour, on peut lever nombre de barrières ! Bravo Christophe.
Polak
Ah, les diplômes ! Indispensable ? Je ne sais ... je me souviens avoir décroché le poste de directeur d'une école de musique municipale parce que le premier adjoint au maire a constaté, au lu de mon CV, que nous avions été à la même école communale, à la même époque. Il n'a même pas jeté un œil sur le reste du document (Authentique ! Malheureusement). La faveur tient à peu de choses, quand même. Enfin, ça prouve que c'est utile, l'école !
Jipé
Bravo Christophe, l’homme aux innombrables talents, et quels talents...😘😘
Danielle
Ça me rappelle la fin des années 70, des soirées passées à la bibliothèque à potasser des bouquins de photos... un "vieux" Durst acheté à tempérament, des nuits sans fin dans une salle de bains sans fenêtre... noir tirant sur le rouge... 3 bains posés en équilibre précaire sur une planche en travers de la baignoire... des tonnes de papier... des poubelles pleine d'erreur... puis un jour... la lumière a jailli à force d'amour et de ténacité... Merci à toi Christophe d'avoir fait ressurgir ces souvenirs... 😍
Claude
Comme si je ne te reconnaissais pas assez de talents jusqu'ici... il faut en plus que tu révèles un réel talent d'écrivain... et avec de l'humour ! Ce dernier point ayant, semble-t-il, disparu de l'écriture actuelle, je reconnais qu'il me touche particulièrement et je te remercie de me l'avoir fait découvrir. Tu trouves le temps de dormir, de temps en temps ? En tous cas, bravo et bonne suite à ta créativité !
Anne
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